lundi 12 décembre 2011

Les droits des objets

Qu'est-ce que la propriété? Non je ne dirais pas, comme Proudhon, que la propriété c'est le vol. Je comprends et je partage l'idée que la propriété privée doit exister. L'abolition totale de cette dernière, que prônent certains utopistes, m'apparaît comme quelque chose qui aurait des conséquences indésirables. Mais je me permettrai tout de même ici de réfléchir et de remettre en question certains aspects du concept de propriété. Y a-t-il certaines limites qu'on devrait lui imposer?

Mais tout d'abord, que signifie «posséder»? C'est un concept auquel nous sommes tellement habitué que son sens nous semble aller de soi. Mais si l'on fait l'exercice de le définir, on pourrait dire que les possessions d'une personne sont les objets sur lesquels les autres personnes lui reconnaissent une pleine souveraineté. Un individu peut faire ce qu'il veut des objets qui sont siens. Mais ce qu'il faut garder en tête c'est qu'il s'agit d'une convention sociale, d'un consensus. Il n'y a pas de connexion magique entre le possesseur et ses possessions. C'est une intersubjectivité.

Dans cette perspective, un être peut-il en posséder un autre? Selon notre définition de la propriété, c'est tout à fait possible. Il suffirait soit que le propriétaire puisse user de la coercition pour soumettre sa propriété à sa souveraineté (comme lorsque l'on possède un animal) ou, encore mieux, que l'individu qui appartient à l'autre reconnaisse lui-même cette propriété et se soumette volontairement à la volonté de celui à qui il appartient. Mais nous avons un jour décrété qu'un humain ne pouvait pas se faire propriétaire d'un autre humain. Cela parce que nous avons reconnu que l'esclave avait des intérêts propres, autant que son maître, et qu'il était plus facile pour lui d'accéder au bonheur s'il n'est pas soumis aux caprices d'un propriétaire. Pour des raisons éthiques, donc, nous réprouvons l'idée qu'un humain puisse en posséder un autre et mettons là une limite au pouvoir de posséder qu'a l'individu.

Nous pourrions, à partir de la même base, nous demander si un humain devrait pouvoir posséder un animal. Étant donné que l'animal a des intérêts propres, il importe de les considérer. Personnellement, je donnerais à l'animal un statut distinct du mobilier, une relation impliquant certains devoirs envers lui, sans lui donner lui-même le pouvoir de posséder des choses, mais c'est un autre sujet. La question que je me pose ici concerne plutôt les objets inanimés. Même si un objet n'a pas d'intérêts propres, de désirs ou d'aspirations, même s'il ne peut souffrir ou être contrarié, celui qui possède cet objet devrait-il pouvoir lui faire subir ce qu'il veut? Si l'on possède un objet, devrait-on avoir tous les droits sur cet objet? L'objet inanimé devrait-il «avoir des droits»?

La question semble absurde, mais considérons que si nous n'avons aucun devoir envers l'objet lui-même, nous en avons envers les individus. Or, si un objet a le potentiel d'être utile ou nécessaire pour quelqu'un et qu'il est difficile à obtenir, ne devrait-il par être interdit de le détruire ou de l'abîmer volontairement même si on le «possède»? Par exemple, si je suis riche et que je m'achète un objet très abondant, mettons une télé, puis-je la détruire? Mais s'il s'agit plutôt d'un objet est rare et nécessaire?

Nous vivons dans une culture où nous considérons la propriété comme un pouvoir absolu sur les objets, et cela favorise sans aucun doute le gaspillage. Mais si nous nous représentions la propriété différemment? Imaginons que nos choses ne sont pas «à nous» individuellement, mais qu'elles appartiennent en fait à tout le monde, sauf qu'elles nous sont «prêtées» personnellement par la collectivité. Cet «emprunt» nous autorise à utiliser nos objets pour aussi longtemps que l'on en a besoin, mais nous interdit de les détruire s'ils sont encore bons, et nous force à les donner à la charité si l'on veut s'en défaire, plutôt que de les jeter. C'est juste pour souligner que c'est la façon subjective dont on perçoit la propriété qui influence la façon dont on consomme et partage les objets. Une conception différente du même phénomène aurait amené une attitude différente.

Mon point est que même si mon éthique utilitariste est fondée sur le droit au bonheur, et même si seuls les êtres sont capables de bonheur, les choses qui ne sont pas des êtres tels que les objets inanimés, les institutions (entreprises, États, religions, etc.), les écosystèmes, les végétaux et les éléments du patrimoine immatériel (cultures, langues, etc.) méritent aussi des genres de «droits indirects» découlant de leur utilité pour les êtres. Par exemple, le droit de maximiser son potentiel d'utilité. Celui-ci impliquerait de ne pas détruire un objet qui peut encore servir, d'en prendre soin pour qu'il dure le plus longtemps possible, et de le donner lorsque l'on n'en a plus besoin.

Je conclus en vous soumettant une mise en situation. Imaginons un homme qui possède une entreprise. Il n'y travaille pas, il a des employés pour ça. Il ne la gère pas, il a des employés pour ça aussi. Il ne l'a pas construite lui-même ni achetée avec de l'argent durement gagné, il l'a reçue en héritage. Bref, il ne fournit absolument aucun effort dans cette entreprise ni n'en a fourni aucun pour en acquérir la propriété. Dans ce contexte, est-il juste qu'il retire un revenu de cette entreprise, et ce au seul motif d'un lien imaginaire entre lui et celle-ci, lien qui porte le nom de «propriété»? Posons-nous la question...

dimanche 4 décembre 2011

Fuir le monde

À une certaine époque, lorsque j'étais jeune, je ne voyais sérieusement pas comment je pourrais me trouver une place dans la société. Et, en même temps, je voyais tant d'écart entre ma perception du monde et celle qui domine. Tant au niveau des croyances que de l'éthique. Je me disais que je devais fuir ce monde, non pas en me suicidant, mais bien en sortant du «système». Quitter la civilisation et aller défricher une terre pour y fonder ma propre société. Repartir la civilisation à zéro sur de nouvelles bases. Poussé par mon désir irrationnel de fuir notre société, j'ai fait des recherches sur internet pour connaître les alternatives. C'est là que j'ai découvert le concept des écovillages. Il s'agit d'une communauté intentionnelle à vocation écologique qui regroupe des gens ayant des valeurs communes et, souvent, une spiritualité commune. Leur but est de se doter d'une terre, d'y vivre selon leur vision du monde et d'en gérer les ressources de façon écologique. Généralement, ils produisent eux-mêmes une partie importante de ce qu'ils consomment.

Au premier regard, j'y voyais de nombreux avantages. Par exemple, le fait de vivre de façon plus conviviale avec un groupe plus restreint de personnes nous permettrait d'établir des interactions socioaffectives plus solides et bénéfiques que dans une société où l'on côtoie autant de gens de façon aussi superficiel. Nous sommes devenus trop individualistes. Mais, si mon voisin était également mon collègue de travail et mon ami d'enfance, j'aurais une meilleure relation avec lui que si je ne le vois que pour lui demander de faire moins de bruit. En plus, ce mode de vie nous permettrait de savoir d'où vient ce que l'on mange et ce que l'on consomme comme produits. Conséquemment, on serait plus enclin à faire des choix santés et éthiques. Le simple fait de vivre dans cet endroit aurait un impact énormément positif sur l'environnement.

La collaboration est également sans doute quelque chose qui irait plus de soi dans ce genre d'organisation sociale. Lorsque je vois cinq maisons de banlieue, côte à côte, avec chacune leur petite piscine hors terre, je me dis: «Si ces gens s'étaient alliés, ils auraient pu avoir une seule grande piscine, creusée, avec un chauffe-eau, peut-être même intérieure, qu'ils se seraient partagée à tour de rôle ou en même temps.» Tout ce qu'un foyer n'utilise qu'occasionnellement pourrait être mis en commun avec d'autres foyers. Ainsi, soit ça reviendrait moins cher pour chacun, soit ils pourraient s'acheter des choses de meilleure qualité.

Je me disais aussi que si une telle communauté acquérait un minimum d'autarcie (par exemple, en produisant elle-même une partie de sa nourriture, de ses vêtements et de son électricité) elle serait moins vulnérables à des phénomènes globaux, telle qu'une crise économique. Et que, même si elle était elle-même victime d'une crise ou d'une catastrophe naturelle, la cohésion sociale qu'on y trouverait permettrait d'offrir aux plus affectés de ses membres un réseau de soutient indispensable.

En théorie, ça me semble merveilleux. En pratique, il n'y a malheureusement pas beaucoup d'écovillages au Québec qui existent autrement que sous une forme plutôt embryonnaire. Ce ne sont, en plus, bien souvent que des projets plutôt utopiques, qui coûteraient une fortune à mettre en place et qui ne comporte aucune idée pour se financer autre que de demander des dons. Ils semblent également manquer de réalisme et de structure dans la façon dont ils prévoient faire fonctionner leur projet. Également, certains semblent désirer une sorte de régression technologique, comme pour être «plus naturels», ce qui est à l'opposé de ce que je prône à la fois par rapport à la technologie et par rapport à l'écologie.

Par ailleurs, le côté «spirituel» de la chose m'agace profondément; comme lorsqu'on gratte une fourchette sur une assiette. Évidemment, il faut que les habitants d'un tel lieu partagent des valeurs communes (autrement, il n'aurait aucune raison d'être) mais il semble qu'ils aient systématiquement opté pour une conception du monde plutôt ésotérique. Les écovillages ne sont, finalement, rien de plus que des monastères de la religion Nouvel-Âge. Je n'y trouverais donc qu'encore plus d'obscurantisme que dans la culture dominante, et mon désir d'exil au départ avait entre autres pour but de justement fuir cet obscurantisme.

Puisque tous les projets existants de ce type semblent s'opposer à mes valeurs, j'ai abandonné depuis longtemps l'idée d'émigrer dans un tel endroit et j'ai choisi de m'intégrer à ma façon dans la culture dominante, de trouver ma niche dans ce système. Toutefois, si jamais je gagnais miraculeusement une somme d'argent incroyablement élevée, il est fort probable que je l'investisse dans la construction d'un écovillage dont l'une des valeurs fondamentales serait la pensée rationnelle. Un endroit où les gens partageraient une éthique semblable à la mienne, et où l'on s'efforcerait de s'émanciper de la tradition pour adopter quelques réformes culturelles. Ce serait une terre promise où pourraient s'exiler les libres-penseurs pour y bâtir une société nouvelle. Où la science et l'art seraient valorisés. À défaut de pouvoir apporter des changements positifs dans notre immense société, on pourrait les introduire dans cette microsociété.

Mais bon, cela ne demeure qu'un rêve irréaliste.

mercredi 12 octobre 2011

Mon éthique en carte conceptuelle

Afin de modéliser l'éthique que je préconise, j'ai conçu ce réseau de concepts:



Donc pour toute question d'ordre éthique, j'utilise ce schéma pour savoir ce que je devrais faire. Évidemment, c'est grossièrement résumé. Par exemple, c'est souvent un peu flou de savoir si un bonheur donné est supérieur ou non à une souffrance donné. Mais c'est plus un guide. Aussi, il importe d'y ajouter une possibilité d'altruisme, donc le «je» à l'intérieur des cases peut être remplacé par «une personne dont je me soucie».

J'aurais aimé pouvoir mettre, directement dans les encadrés, des hyperliens vers mes billets qui les expliquent. Mais en fait c'est pas mal ce que j'explique dans ma première réflexion sur l'éthique et dans celle sur l'égoïsme légitime.

Je trouve ça intéressant de créer une arborescence du genre pour faciliter la compréhension d'un raisonnement. C'est visuellement agréable aussi. Si j'ai le temps et la patience j'aimerais, un jour, créer une immense carte conceptuelle de la sorte qui engloberait l'ensemble de ma philosophie personnelle et des réflexions que je mets sur ce blogue. Tout serait connecté en un immense tout cohérent.

samedi 1 octobre 2011

Pouvoir politique et pouvoir religieux

Pour moi, l'État laïc doit affirmer haut et fort, non pas un athéisme, mais une non-ingérence dans les croyances spirituelles de ses citoyens; dans la mesure où ces croyances ne les poussent pas à commettre des actes illégaux. Mais si cela est l'attitude que l'État doit avoir face à l'individu, quelle posture doit-il adopter en face des institutions religieuses?

Je pense que l'État devrait se permettre d'aller un peu plus loin en affirmant ouvertement qu'il ne reconnaît l'autorité d'aucun clergé. Notre laïcité est encore un peu floue, mais il faudrait spécifier qu'elle est pour la liberté des croyances spirituelles chez les individus, et non pour la liberté d'action et de propagande chez les institutions spirituelles. Si, par exemple, tel clergé dicte telle croyance et qu'elle devient vraie aux yeux de ses fidèles, alors l'État ne devrait accorder de l'importance à cette croyance que parce qu'elle est importante pour les individus qui y croient, et non parce que le clergé en a fait un dogme.

Là où les choses deviennent un peu plus compliquées, c'est lorsque la croyance d'un citoyen est que tel clergé possède l'autorité sur toute question d'ordre spirituel. C'est-à-dire, lorsqu'il a la foi du charbonnier: il se considère lui-même trop ignorant pour se prononcer sur les questions théologiques, voire pour les comprendre, mais il perçoit son clergé comme des spécialistes de ces questions et a foi en leur jugement. Dans ces circonstances, contester l'autorité d'un clergé c'est directement contredire sa croyance. Mais je pense que l'on retrouve beaucoup moins de ce type de croyants de nos jours. Les gens ont leurs propres croyances personnelles et ne reconnaissent la légitimité du clergé que lorsque celui-ci dit la même chose qu'eux.

D'après moi, le fait que les croyants modérés ne sont plus derrière le clergé nous autorise à faire un pas supplémentaire dans cette direction. Il y aura très peu de gens pour s'offusquer que l'on ne reconnaisse pas que le Pape dicte la parole de Dieu, par exemple, considérant que la majorité des gens sont en désaccord avec ses opinions à propos des femmes, de l'homosexualité ou de l'usage du condom. Ainsi, que notre laïcité fasse reculer un peu plus le pouvoir des clergés serait une mesure démocratiquement viable. Bref, on devrait permettre aux gens de croire aux clergés mais leur rappeler la non-reconnaissance du pouvoir des clergés aussitôt que ceux-ci s'ingèrent dans la juridiction de l'État ou empiètent un peu trop sur la liberté, l'égalité ou une autre valeur chère à la notre société.

Tant qu'à moi, les clergés ne méritent pas plus de pouvoir que n'importe quelles autres entreprises. Je trouve aberrant que, dans une société où il est interdit à un employeur de refuser un candidat à cause de son sexe ou son origine, on autorise les clergés à refuser les femmes pour le poste de prêtre.

dimanche 24 juillet 2011

Des poules pas de tête

Supposons que nous je vous reçoive chez moi de façon très informelle. Un moment donné, je vous dis: «Si t'as faim, tu peux prendre une pomme dans le bol à fruit ou du poulet dans le frigidaire». Selon ce dont vous avez le goût, vous choisirez l'un ou l'autre. Mais si je vous dis plutôt: «Si t'as faim, tu peux prendre une pomme dans le bol à fruit ou aller égorger le coq dans la cours». Là, par contre, il y a peu de chances que vous choisissiez le poulet. Et probablement pas seulement parce que vous aurez peur de vous salir les mains, vous vous direz que votre désir de poulet n'est pas assez fort pour qu'il vaille la peine de tuer un coq pour ça.

De nos jours, il y a une sorte de déconnexion émotionnelle entre le consommateur de viande et la vie de ses proies. Certains éprouvent quelque chose lorsqu'ils prennent conscience de ce qu'ils mangent et de la souffrance que ça implique, mais diront que ce serait un excès d'émotivité que de se laisser aller à cette compassion envers l'animal. Il y a, bien sûr, une composante émotionnelle présente dans tout altruisme – que ce soit celui qui m'empêche de consommer de la viande ou celui qui m'empêche de tuer mon voisin pour lui voler sa télé. Mais ce que je prône est un altruisme raisonné, découlant d'une compréhension rationnelle de la nature d'autrui. Si l'autre a, comme moi, des désirs et des souffrances, il importe que je tienne compte de ceux-ci comme je tiens compte des miens. Le point est que la déconnexion émotionnelle que l'on s'efforce d'avoir par rapport aux animaux d'élevage est arbitraire. Il n'y a pas de raison raisonnable qui puisse justifier que, dans ce cas-ci, on devrait faire abstraction de notre empathie naturelle alors qu'on s'y laisse aller face à un humain ou un animal de compagnie. Mais si l'on devait contempler la vie et l'abattage de chaque bête que l'on désire manger, on en mangerait moins.

Ce qui est intéressant c'est que les conditions actuelles dans les élevages intensifs ont atteint leur paroxysme en matière de souffrance, justement à cause de cette indifférence générale des consommateurs. Ne voyant pas la souffrance impliquée et s'efforçant de l'ignorer, le consommateur de viande achète ce produit et crée une demande proportionnelle à son appréciation du produit comme tel mais indépendante de la façon dont il est produit (comme lorsqu'il achète un produit fabriqué en polluant ou en bafouant les droits de la personne). Conséquemment, le producteur qui, lui, voit cette souffrance, est contraint d'adopter des méthodes beaucoup plus douloureuses s'il veut répondre à la demande et demeurer compétitif. Comme dans l'expérience de Milgram, le producteur soulagera sa conscience en se disant qu'il ne fait qu'obéir «aux ordres» des consommateurs, ou encore en percevant le triste sort de l'animal comme étant «son destin», une inévitable fatalité.

Mais parfois, pour surmonter la vue prolongée de cette souffrance, le producteur devra cesser de considérer l'animal comme un être. Ce ne sera plus qu'un objet, les signaux de douleurs qu'il enverra ne seront plus que «des réflexes» ou des engrenages qui grincent dans cette complexe machine dépourvue de conscience et de sensation. Conséquemment, la maltraitance qu'il aura à son égard empirera. Je vois une analogie facile avec un dictateur qui ordonnerait à son général de commettre un génocide: Ce dernier adoptera les mêmes stratégies psychologiques pour obéir aux ordres et voir cette souffrance sans se sentir coupable, tandis que le dictateur aura de la facilité à donner un tel ordre puisqu'il ne sera pas confronté directement à la vue de cette souffrance ce qui évitera à son empathie naturelle d'être sollicitée.

Ma conclusion est que cette situation qui mène à un accroissement de la souffrance dans les élevages et les abattoirs, est causée par l'apparence dénaturée des produits animaux dans les épiceries. Un steak ne ressemble pas à une vache, des tranches de jambon n'ont pas l'allure d'un porc et une boîte de croquettes pannées ne ressemble pas à une poule. On chosifie la bête que l'on mange, on la transforme pour qu'elle ne se ressemble plus. Mais il faut être cohérent avec soi-même. Si je ne suis pas prêt à tuer un coq uniquement pour avoir un plat de poulet, alors je ne vais pas m'acheter de poulet en sachant que cela implique que l'on tue un coq. Je me dis que si les poulets dans les épiceries étaient vendus avec leur tête toujours en place, les gens se rappelleraient que ce fut autrefois des êtres vivants et en achèteraient moins ou en gaspilleraient moins. Mais nul n'éprouve d'empathie pour des poules pas de tête.

lundi 4 juillet 2011

Pourquoi y a-t-il encore des singes?

L'autre jour, j'étais à une station de métro et je ne faisais de mal à personne, lorsqu'un missionnaire créationniste m'a demandé si je voulais «la parole de Dieu» en me tendant une bible. Je dois dire que je n'étais pas à ma plus grande forme ce jour-là, et que je suis agacé de toujours me faire solliciter à cette station de métro, que ce soit pour me faire demander de l'argent ou pour me faire proposer de la drogue. Bref, je lui ai répondu un peu agressivement que je ne croyais pas à Dieu et que je ne comprenais pas comment des gens pouvaient encore croire en de telles choses.

– Et puis d'ailleurs, ai-je poursuivît, moi je n'écoeure pas les gens avec mes croyances personnelles!
– En ce moment c'est plus toi qui m'écoeure que l'inverse, qu'il a répondu. Moi je t'ai juste demandé gentiment si tu voulais la parole de Dieu!
– Justement. Moi je n'harcèle pas les passants en leur proposant la parole de Darwin.
– Pff! Darwin! C'est ridicule l'évolution! Si l'Homme descend du singe, pourquoi y a-t-il encore des singes?

J'étais pétrifié tant cette phrase n'avait aucun sens. J'avais déjà entendu parler de cet argument auparavant, mais je ne pensais pas possible que quelqu'un puisse réellement le dire sérieusement. En fait, je ne le comprends même pas; je descends de mon père et ça ne l'empêche pas d'être encore là. Cette phrase prouve non seulement que la personne ne croit pas à l'évolution, mais qu'en plus elle ne comprend même pas ce que c'est.

D'après ce que j'ai pu déduire, il pense que la théorie actuelle de l'évolution est le lamarckisme (obsolète depuis 150 ans), donc que toutes les espèces devraient se transformer progressivement en humains en remontant l'échelle de la vie, donc que si nous avons eu le temps de devenir des humains, les autres singes aussi. Mais puisqu'il y a encore des singes, il présume que la théorie de l'évolution est fausse. Et puisque le créationnisme est la seule autre alternative qu'il connaisse, et puisque sa religion natale est la seule forme de créationnisme qu'il connaisse, alors l'existence des singes est pour lui la preuve que la Terre a été créée en six jours par Yahvé tel que décrit dans la bible. Mais je ne suis vraiment pas certain de mon interprétation, comme j'ai dit, je ne comprends même pas cet argument.

C'est tout. Je voulais juste partager cette anecdote. J'ai même rien à introduire avec ça puisque j'ai déjà mis en ligne depuis longtemps ma vulgarisation personnelle de l'évolution. Si jamais on me ressort une autre fois cette phrase insensée, je pense que je vais juste répondre «Mais pourquoi n'y aurait-il plus de singes?» Juste pour comprendre.

vendredi 1 juillet 2011

Ma conception de l'écologie

Dernièrement, la Bolivie a fait passer une loi dites «loi de la Terre-Mère» qui accorde des droits à la nature comme s'il s'agissait d'une personne. Elle a par exemple le droit à la vie, le droit d'être préservée de la pollution et le droit de perpétuer ses processus naturels indépendamment de toute intervention humaine. C'est une bonne chose en fait. Dans le fond si une entreprise peut être une personne morale pourquoi pas la nature? Ça permettrait de rétablir un certain équilibre entre les droits des entreprises et les droits de la nature. Mais ce n'est toutefois pas l'approche que j'aurais adoptée.

Ma conception de l'écologie découle directement de mon éthique utilitariste et de ma vision du monde scientifique. La nature n'est pas une personne ni même un être, elle ne peut donc avoir des droits puisqu'elle n'a pas de désir ou de bonheur sur lesquels ont pourrait se baser pour fixer ses droits. Lui donner des droits serait comme donner des droits à un groupe en négligeant les individus qui le composent.

Par contre, la nature est un système complexe dont la perturbation peut avoir des conséquences fâcheuses pour nous ou pour d'autres êtres tel que sa faune ainsi que les gens des générations futures. Considérant cela, il devient important de protéger et de préserver l'environnement, mais pas au nom de l'environnement lui-même. Tout comme les objets et les végétaux, la nature ne devraient avoir que des «droits indirects» découlant de son utilité pour les êtres et, donc, des droits de ces êtres. Dans ma perception, tout mesure environnementaliste devrait se fonder sur ce pilier.

Je trouve que, d'une certaine façon, l'environnementalisme de type «on ne modifie rien» procède d'un raisonnement identique au conservatisme social et politique. L'environnement change et évolue depuis toujours. La pollution d'une ère peut être la ressource vitale de l'ère suivante. Il serait naïf de croire qu'avant la révolution industrielle, la nature avait atteint un équilibre parfait qui n'était destiné à aucun changement. L'équilibre n'est jamais parfait, c'est pourquoi l'évolution ne finit jamais. Le but que l'on devrait se fixer, n'est pas que les choses demeurent telles qu'elles étaient à un instant t, mais que la souffrance n'augmente pas. Si l'on trouvait une planète qui ne serait peuplée d'aucun être, il n'y aurait rien de mal à piller ses ressources naturelles ou à modifier complètement son environnement pour nos intérêts personnels. Mais ce n'est pas le cas de notre planète, qui est l'habitat d'une multitude d'êtres variés, dont on doit tenir compte des intérêts.

Notre but ne devrait pas non plus être de laisser la nature inchangée ou de minimiser notre empreinte, comme si l'humain n'existait pas ou devait demeurer séparé de la nature. Au contraire, je pense que l'on devrait avoir pour visé de faire partie d'un écosystème équilibré. Que l'on prenne plus de contrôle sur notre environnement ne me semble pas être une mauvaise chose, c'est l'extension logique de ce que l'on fait depuis le Néolithique. On a l'impression que ce phénomène mène forcément à la destruction de l'environnement, surtout depuis la révolution industrielle, mais c'est au contraire la progression de la science et de la technologie qui nous a permis d'acquérir une conscience écologique et des moyens concrets pour la mettre en pratique.

Dans mon utopie, il y a un monde où les milieux humains sont peuplés d'arbres et d'animaux sauvages coexistants pacifiquement avec nous. Les villes et leurs banlieues ont un urbanisme qui inclut de larges portions de forêts. Les campagnes utilisent de nouvelles formes d'agricultures qui permettent l'émergence d'un écosystème, dans lequel l'humain occupe sa propre niche écologique. Tous nos déchets sont recyclés ou décomposés afin de retourner dans la chaîne alimentaire. Les populations animales et l'ensemble de l'écosystème sont surveillés par des scientifiques afin que l'on s'assure de les réguler. Bref, un équilibre s'établirait dans une nature dont l'humain ferait partie.

jeudi 23 juin 2011

Vers la souveraineté

Depuis la dernière élection fédérale, il est plus que jamais limpide que le Québec n'a pas sa place au sein du Canada. Alors que la majorité des Canadiens ont élus un gouvernement de droite majoritaire, ce même gouvernement a eu un succès presque nul au Québec dont la majorité a élu une opposition de gauche. Comme je l'ai dis précédemment dans ma réflexion sur la séparation, qu'il y ait deux cultures fondatrices n'est pas un problème en soi, le problème c'est que cette division culturelle entraîne une forte division d'orientation politique.

Bref, j'étais en train de me demander comment on allait se diriger vers la souveraineté. Quelle place un parti souverainiste devrait-il donner à ce projet dans son agenda? Traditionnellement, on faisait un référendum en se disant qu'on se séparerait si le OUI gagnerait. Je me disais que l'on devrait peut-être inverser notre stratégie: Commencer par essayer de donner au gouvernement provincial autant d'autonomie que possible par rapport au fédéral sans pour autant sortir de l'union canadienne, puis, lorsqu'il ne sera plus possible d'en acquérir plus (soit parce que le fédéral s'y opposera, soit parce qu'obtenir un statut de pays resterait la seule liberté que nous n'ayons pas acquise) on déclenche un référendum sur la séparation.

En fait, la séparation ne devrait pas être présentée comme une fin en soi mais comme un moyen. Le véritable objectif ici est que le Québec acquiert plus d'autonomie, afin de mieux répondre aux besoins de sa population. Sortir du Canada n'est que l'étape finale dans l'accomplissement de cet objectif. Commencer par acquérir l'autonomie avant la souveraineté présenterait l'avantage de clarifier la question référendaire. Si l'on a déjà acquis tout plein d'autonomie sans avoir besoin de se séparer, alors la souveraineté devient surtout une question symbolique de reconnaissance et d'avoir sa place sur la scène internationale à égalité avec les nations souveraines. Si l'on s'est buté à un obstacle dans notre quête d'autonomie à cause du fait que nous demeurions dans le Canada, alors on sait beaucoup mieux pourquoi l'on devrait se séparer.

La stratégie qui devrait être en place c'est de saisir toute juridiction que le fédéral néglige ou délaisse et de créer une instance provinciale pour s'en occuper. Par exemple, si le Canada ne veut plus de registre des armes à feu, pourquoi ne pas en faire un pour le Québec? Si le Canada investit moins dans la culture, le Québec devrait riposter en investissant plus dans la culture. Si le fédéral ne veut plus du bilinguisme dans l'armée, pourquoi le provincial ne financerait pas en partie une division francophone de l'armée canadienne? Pourquoi ne pas immédiatement créer une société d'État de livraison qui concurrencerait Poste Canada? En clair, on devrait immédiatement mettre en place des institutions provinciales qui seront indispensables dans l'éventualité où l'on se séparerait mais qui auraient tout de même leur raison d'être pendant que l'on demeure au sein du Canada.

Une autre stratégie qui devrait être utilisée serait d'essayer de réduire au minimum les interactions entre le citoyen et le fédéral, par exemple en offrant de remplir pour lui tout formulaire, rapport d'impôt, demande de subventions, demande de passeport, d'acquisition de sa citoyenneté, etc. Bref, que le citoyen (ou le futur citoyen) puisse n'interagir qu'avec le provincial s'il le veut, qui lui-même se chargera à sa place de transiger avec le gouvernement canadien. Ultimement, ce pallier gouvernemental deviendrait donc de plus en plus superflu dans l'univers du citoyen, comme une sorte d'intimidateur qui lui taxe son argent sans rien lui apporter en retour.

En gros, ce que j'essaye de dire, c'est que l'accession à la souveraineté n'est pas quelque chose qui peut se faire spontanément suite à un référendum. C'est un long processus. Mais si ledit processus est déjà enclenché et que la population peut en voir les effets bénéfiques, alors le référendum lui-même aura plus de succès.

jeudi 2 juin 2011

Interdire la discrimination

Comment devrait-on s'y prendre pour écrire une loi qui prohibe la discrimination? Prenez l'article 10 de la charte des droits et liberté du Québec:

«Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.»

Le problème que j'y vois c'est qu'on y précise les formes de discriminations qui sont interdites (sexe, race, religion) ce qui autorise les autres formes de discrimination, même quand elles sont tout aussi arbitraires et pénalisantes. Par exemple, est-il correct de refuser d'engager une personne parce qu'elle est laide? Si c'est pour un poste d'adjointe administrative il est clair que non, mais pour un emploi ou l'apparence physique importe, comme serveuse dans un bar par exemple?

À mon humble avis, on devrait reformuler le contenu de la Charte. Ce qui est à proscrire c'est la discrimination arbitraire. Tout simplement. Que cette discrimination soit basée sur le sexe, la beauté ou le signe astrologique n'a pas à être précisé dans la Charte. Dans le cas de l'embauche par exemple, s'il n'y a pas de lien pertinent entre le critère discriminant utilisé par l'employeur et le poste pour lequel l'employé est engagé, alors l'employeur est injustement discriminatoire. Point. On aura beau essayer d'y énumérer tous les critères de discrimination possible que les gens s'en inventeront de nouveaux.

Par ailleurs, il y a des situations dans lesquelles ces catégories s'adonnent à être corrélées avec une discrimination légitime. Refuser d'engager une personne laide comme serveuse dans un bar, c'est comme de refuser d'engager une femme comme déménageur de pianos (à moins qu'elle ne soit très musclées) ou de refuser d'engager un aveugle comme gardien de sécurité: Ça pénalise certaines personnes mais il est logique de ne pas donner un poste à une personne qui n'a pas les compétences pour le poste en question; que les compétences en question soient ou non fortement corrélées avec un groupe parfois victime de discrimination.

mercredi 1 juin 2011

Éthique de l'élevage

Mise en situation:

Un homme vivait seul dans une petite cabane au milieu de la forêt. Un matin de novembre, il trouva une bête blessée dans les bois. Il décida de l'amener chez lui pour la soigner. L'animal s'en remit vite mais était dès lors trop handicapé pour survivre dans la nature en plein hiver. L'homme choisît donc de garder la bête avec lui jusqu'au printemps et de partager avec elle ses provisions. Malheureusement, il avait sous-estimé l'appétit de son protégé; ses réserves alimentaires diminuèrent beaucoup plus rapidement que ce qu'il n'avait prévu. Lorsqu'il restait encore un mois à la saison froide, son stock de nourriture était à sec. L'homme dut se résoudre à abattre l'animal qu'il avait hébergé, afin de manger son cadavre. Il lui offrit une mort rapide et presque indolore. Il surmonta les remords en se disant que, de toute façon, la bête serait déjà morte depuis longtemps, d'une mort beaucoup plus douloureuse, s'il ne s'en était pas occupé tout l'hiver.

Dans ce scénario, pourrait-on reprocher à l'homme d'avoir tué l'animal? Éthiquement, a-t-il mal agit? Pour moi, il est clair que non. Je n'aurais strictement rien à lui reprocher. C'est une situation ponctuelle, non préméditée. La proie y gagne beaucoup plus qu'elle n'y perd et elle n'est tuée que par nécessité. L'homme a retiré cette bête de la nature dans son intérêt à elle, sans avoir pour but d'en faire son dîner. Cette situation représente pour moi un «élevage idéal» d'un point de vue éthique. C'est-à-dire que l'ensemble des arguments qui pourraient légitimer l'élevage et l'abattage d'animaux sont présents sous leur forme la plus forte. Si l'on soutient, par exemple, que l'animal est plus heureux dans l'élevage que dans la nature, ce serait indubitablement le cas dans notre mise en situation.

Pour moi, donc, pour que l'élevage d'animaux ait des chances d'être éthique, il doit se rapprocher le plus possible de cette mise en situation. Si l'animal est maltraité, ce n'est plus éthique. Si les conditions d'élevage sont pires que celles de la nature, alors ce n'est pas éthique non plus. Il faudrait que l'animal gagne à être en élevage plutôt que sauvage. Si, nous-mêmes, nous avions à choisir entre vivre l'une ou l'autre de ces vies alternatives, nous préférerions la vie d'élevage.

Mais il y a également d'autres facteurs à considérer. Par exemple, l'animal d'un élevage moderne est bien différent de son ancêtre sauvage. Il a été altéré par les croisements sélectifs et n'est désormais plus du tout adapté à la vie sauvage. La vie d'élevage est donc la seule à laquelle il soit adapté. Est-il donc automatiquement éthique de continuer son élevage? C'est comme si l'on avait rendu un être dépendant d'une situation douloureuse, et que l'on justifiait ainsi de le maintenir dans cette situation douloureuse. Indépendamment de l'alternative sauvage, on peut questionner pour elles-mêmes les conditions de vie que nous imposons aux animaux d'élevage. Même si nous sauvons la vie d'un être, cela ne nous donne pas le droit de lui faire vivre ce que l'on veut ensuite. L'homme dans ma petite histoire du début, a tué son animal non parce qu'il l'avait sauvé au préalable, mais parce que cela lui était nécessaire. Nous est-il nécessaire d'imposer de telles conditions de vie aux animaux d'élevage?

Mais une autre question en amont rend inutile toute tentative de répondre à ces questions-ci. Pour l'illustrer, reprenons ma mise en situation du début mais modifions-la légèrement. Imaginons que l'homme n'ait pas trouvé un seul animal dans les bois mais un couple d'animaux, et qu'il ait en réserve un peu plus de nourriture. Supposons qu'après avoir constaté qu'il avait tout juste assez de nourriture pour eux trois pour tout l'hiver, l'homme ait tout de même choisi de laisser ses deux bêtes se reproduire. Bref, il a décidé de faire venir au monde plus de bêtes en sachant qu'ils finiraient par manquer de nourriture et qu'il serait donc contraint de les manger. Ainsi, pour ces nouveaux-nés, le dilemme éthique n'est pas de savoir s'il leur aurait été plus avantageux de vivre dans la nature ou chez cet homme, c'est tout simplement de savoir si cette vie est préférable à la non-existence.

La situation de l'élevage moderne ressemble plus à cette version altérée de mon histoire d'origine. La reproduction des bêtes est totalement contrôlée par les éleveurs. Ce ne sont pas des individus qui ont été retirés de la vie sauvage, ils ont été créés sciemment dans le but d'être abattus et mangés. Comme je le disais dans ma réflexion sur nos devoirs envers les générations futures et dans celle sur les droits de l'enfant, amener un être à l'existence ne nous donne pas de droit sur lui. Au contraire. Les êtres qui n'existent pas encore ne sont pas en train de souffrir ou de désirer exister. L'inexistence devrait être traitée par notre éthique comme un état de béatitude ou, disons, un état «neutre», c'est-à-dire sans bonheur ni souffrance. Donc pour qu'amener un être à l'existence soit éthique, il faut que l'on s'assure au préalable qu'il puisse avoir une vie où le bonheur domine largement sur la souffrance. Ce n'est manifestement pas le cas dans l'élevage intensif.

Bref, ma position n'est pas qu'il est en tout temps et en tout contexte contraire à l'éthique de retirer un animal de son environnement puis de prendre soin de lui avant de l'abattre et de le manger. C'est surtout la forme spécifique que revêt cette activité dans notre civilisation que je trouve indéfendable.

dimanche 29 mai 2011

Les liens du sang

J'avais une discussion dernièrement avec un de mes amis à propos d'un fait divers: C'était l'histoire d'un homme qui découvrait que son fils de treize ans n'était pas son enfant biologique. Comme cet homme avait perdu la garde de l'enfant en question quelques années plus tôt, la question était de savoir si, maintenant qu'il savait n'avoir aucun lien génétique avec lui, il devait continuer de lui verser une pension alimentaire ou s'il devait, au contraire, exiger d'être remboursé par la mère pour toute ces années de pensions alimentaires illégitimes.

Je trouve personnellement que l'on accorde une trop grande importance aux «liens du sang» dans notre culture. Tant au niveau de la relation entre le parent et son enfant, qu'au niveau de la relation entre le Québec moderne et son Histoire. Qu'un enfant adopté utilise l'expression «ma vraie mère» pour parler de la personne qui l'a engendré plutôt que de celle qui l'a élevé, m'apparaît aberrant. De même qu'il m'apparaît aberrant que l'on utilise l'expression «nos ancêtres» pour parler des colons français du seizième siècle, alors que même la plupart des «de souche» ont d'autres ascendants (des Anglais et des autochtones par exemple).

Si l'on en croit l'hypothèse Sapir-Whorf, la façon dont on nomme les choses affecte notre conception des choses. Qu'un enfant ne se perçoive pas comme «le vrai enfant» de ses parents simplement parce qu'il a été adopté ou qu'un citoyen ne se perçoive pas comme «un vrai Québécois» simplement parce qu'il n'avait pas d'ancêtres ici au seizième siècle, me semble être un symptôme d'une terminologie qui a abusivement recours aux «liens du sang». Je propose donc de redéfinir certains mots, de la manière suivante:
parent, père, mère : Personne qui élève l'enfant.
géniteur, génitrice : Personne qui transmet ses gènes à l'enfant.
gestateur, gestatrice : Personne ayant porté l'enfant dans son ventre.
enfant, fille, fils : Personne que l'on élève.
progéniture, rejeton : Personne que l'on a engendrée.
frère, sœur : Personne ayant été élevé par la ou les même(s) personne(s) que l'enfant.
demi-frère, demi-sœur : Personne ayant d'abord été élevé séparément puis ayant partagé plus tardivement un ou plusieurs parents avec l'enfant.
germain(e) : Personne ayant été engendrée par le même géniteur et/ou la même génitrice que l'enfant.

À partir de cette base qui définit les liens de parentés fondamentaux (filiation et germanité) de deux manières différentes (génétique et sociale), on peut redéfinir aussi les autres liens de parenté: les grands-parents, les oncles, tantes, cousins, cousines, neveux et nièces. Par exemple, le grand-parent pourrait être celui qui a élevé la personne qui a élevé l'enfant, tandis que le géniteur du géniteur pourrait être désigné par un néologisme tel que «métagéniteur». Et pour poursuivre cette idée, les termes «oncle» et «tante» pourraient aussi inclure des amis proches des parents.

En plus de raffermir le lien de filiation des enfants adoptés, cette terminologie contribuerait à démarginaliser la monoparentalité, l'homoparentalité et même la polyparentalité. En effet, dans le modèle actuel on présume que tout enfant a un père et une mère. L'enfant peut sentir qu'il lui manque quelque chose s'il n'a pas de père. Or, si l'on se contentait de dire que tout enfant a un géniteur et une génitrice, mais que son nombre de père ou de mère peut varier, il n'y aurait plus rien d'aberrant à n'avoir qu'un parent ou à avoir deux pères. Par ailleurs, les enfants adoptés rechercheraient peut-être moins à trouver et connaitre leurs parents biologiques et n'auraient pas d'attachement affectif gratuit envers eux.

Pour les liens plus lointains, comme celui entre les Québécois modernes et les fondateurs, je propose simplement que l'on privilégie des expressions comme «nos prédécesseurs» plutôt que «nos ancêtres». C'est beaucoup plus réaliste et inclusif. Que j'aie des origines françaises, autochtones ou issues d'une vague de migrations très récente, si je vis au Québec les colons français sont indéniablement mes prédécesseurs.

Pour la plupart d'entre nous, cette nouvelle terminologie ne changerait rien puisque la mère d'une personne est souvent aussi sa génitrice et sa gestatrice, mais cela nous rappellerait que ce que l'on a hérité de nos parents est moins un génotype qu'une éducation. Mon opinion est qu'une société moderne devrait moins focaliser sur l'apport génétique (à moins qu'il soit atypique) que sur l'apport intellectuel d'une filiation. Génétiquement, la plupart des humains sont à peu prêt semblables. Que je conçoive mon enfant moi-même ou que je l'adopte ne changera pas grand-chose à ce qu'il deviendra. C'est l'ensemble des traits non innés (culture, connaissances, valeurs) transmis d'un parent à son enfant ou d'un ancien à un moderne qui font la spécificité de ce genre de relation. Oublions les liens du sang, concentrons-nous sur les liens de l'esprit.

mercredi 18 mai 2011

Statut du mariage

Il y a quelques années nous avons légalisé le mariage gay au Canada. À l'époque, le sujet semait beaucoup de controverse. Il y avait des gens qui tenaient à maintenir la «définition traditionnelle» du mariage, à cause de leurs croyances religieuses. J'avais alors eu une idée pour réconcilier l'opinion des intégristes et celle des progressistes. Je proposais de:
  1. Laisser le mot «mariage» aux religions et n'utiliser que le terme «union» pour les mariages civils;
  2. Retirer toute reconnaissance légale aux mariages religieux;
  3. Donner aux couples homosexuels et aux unités polygames le droit de s'unir civilement de la même façon que les couples hétérosexuels monogames;

Puisque c'est surtout le terme «mariage» qui était sacralisé par les ultracroyants, je me disais qu'en leur laissant, tout le monde serait content. Mais finalement, on a tout simplement légalisé le mariage gay et les religieux ont fini par se calmer. Toutefois, réfléchir sur le concept de mariage demeure d'actualité. En effet, si j'ai bien compris, depuis l'affaire d'Éric et Lola, il n'est plus nécessaire d'être marié (religieusement ou civilement) pour être légalement considéré comme un couple marié. Le simple fait de vivre en union de fait (c'est-à-dire, de cohabiter depuis un certain temps avec une personne avec qui l'on vit aussi une relation amoureuse) suffit pour acquérir ces droits.

Évidemment, cette situation est aberrante (particulièrement, dans la situation d'Éric et Lola… je ne comprends pourquoi l'ex-femme au foyer d'un millionnaire mériterait plus d'argent que l'ex-femme au foyer d'un commis de dépanneur; sa définition de tâche était la même). L'argument principal est qu'il serait discriminatoire envers les couples non mariés de ne pas leur accorder les mêmes droits qu'aux couples mariés… c'est un peu comme si l'on disait à une compagnie d'assurance qu'en ne dédommageant que ses clients, elle discrimine les gens qui n'ont pas de contrat d'assurance avec elle.

Mais ce que je réalise surtout c'est que le rite ou le contrat du mariage devient encore plus obsolète puisque c'est l'état de fait qui change l'état civil. Par ailleurs, je trouve aussi très ambiguë la démarcation entre une union de fait et deux colocataires qui sont juste amis. Comment fait-on pour prouver qu'ils vivent une relation amoureuse? Doit-on mesurer le taux d'affection qu'ils éprouvent l'un pour l'autre? Mais pourquoi serait-il pertinent de considérer quelque chose d'aussi intangible que l'amour dans une telle situation? Il me semble qu'un sentiment comme l'amour conjugal est d'une nature trop volatil pour servir de fondement à ce genre de contrat. À quoi sert au fond la reconnaissance légale du mariage? C'est surtout fiscal, on veut savoir si la personne doit s'autosuffire financièrement ou si elle collabore avec une autre personne. C'est donc seulement la collaboration entre individus qui devraient avoir un statut légal, et non pas l'amour.

Bref, suite à ça, j'ai une nouvelle proposition pour réformer le mariage. En fait, je ne fais que réitérer mon ancienne proposition mais je vais un peu plus loin. Je propose que la mariage ou l'union cesse d'exister légalement et qu'il soit substitué par trois types d'«alliances» différentes et indépendantes:
  1. Cohabitation (vivent ensemble),*
  2. Coparentalité (sont ensemble les tuteurs légaux d'un ou de plusieurs enfants),
  3. Copropriété (ont des propriétés communes),

Les droits du mariage seraient répartis dans ces trois sortes de contrat informel. Ainsi, deux personnes qui vivraient ensemble, qui auraient des enfants en commun et qui posséderaient des biens en commun seraient dans la même situation qu'un couple marié actuellement. Lorsqu'ils cesseraient de cohabiter, ils seraient comme un couple divorcé. La reconnaissance du lien de copropriété permettrait à un couple qui se sépare d'avoir recours au système judiciaire pour se répartir leurs biens s'ils ne parviennent pas à le faire par eux-mêmes sans conflit. Deux personnes partageant un lien de coparentalité (qui ne se romprait que lorsque les enfants deviendrait adultes ou décéderaient, ou si l'un des deux perds totalement la garde de l'enfant), sans partager de lien de cohabitation ou de copropriété, seraient légalement dans la même situation qu'un couple divorcé avec enfants en ce moment. Les tribunaux pourraient donc leur imposer la garde partagée ou une pension alimentaire.

Il me semble que réviser dans ce sens la nature légale du contrat de mariage présenterait de nombreux avantages. En plus d'être mieux adapté à la gestion des ruptures (ce qui, finalement, me semble être la seule fonction du mariage désormais), il posséderait la plasticité nécessaire pour répondre aux besoins de toute la diversité des ménages de nos jours. Qu'un foyer soit composé d'un couple hétérosexuel marié à l'église, d'un couple homosexuel marié civilement, d'une unité polygame ou de simples colocataires, la loi n'en aura rien à faire. Ce qui serait considéré serait uniquement ce qui est pertinent pour évaluer comment ils collaborent et comment la rupture de cette collaboration devrait être gérée.

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*C'est la cohabitation qui me semble être la forme la plus intime de collaboration, mais c'est également celle qui est le plus difficilement gérable. Comment, en effet, peut-on savoir si deux personnes qui cohabitent se partagent les tâches ou si elles font leurs choses indépendamment chacune de leur côté? Peut-être serait-il souhaitable de rendre obligatoire un «contrat de cohabitation» qui spécifierait à l'avance à quel niveau les deux personnes prévoit collaborer. On saurait, par exemple, lorsque l'un des deux ne travaille pas, si c'est parce qu'il est prévu qu'il se concentre sur les tâches ménagères.

dimanche 15 mai 2011

Le monde des idées

Le très sage philosophe grec Démocrite (460-370 av. notre ère) avait une vision du monde matérialiste, c'est-à-dire qu'il croyait que le seul le monde matériel existait. Pour lui, rien n'existait en dehors des atomes (corpuscules insécables dont il postula l'existence) et du vide. Toute chose n'étant constituée que d'atomes dont les agencements formeraient les différentes substances existantes. C'est surprenant d'à quel point son intuition l'amena proche des conclusions de la science moderne.

Par opposition, son contemporain Platon (427-346 av. notre ère) croyait à un dualisme entre le monde de la matière et celui des idées. Pour lui, le monde qui nous entoure est en quelque sorte illusoire. Les entités que nous percevons n'existent pas en elle-même, ce sont les concepts qui existent vraiment. Il utilisait l'allégorie de la caverne pour expliquer son point: Notre regard est fixé en permanence sur les ombres dans la caverne (les choses matérielles) et l'on arrive pas à regarder ce qui projette ces ombres depuis l'extérieur de la caverne (les concepts purs). Nous ne vivons donc pas dans la vraie réalité. Les choses autour de nous ne seraient que les avatars éphémères et imparfaits d'archétypes éternels flottant dans l'éther du monde des idées. Bref, les concepts purs sont plus réels que les objets qui les portent. Par exemple, la beauté existe en soi et s'incarne partiellement dans les belles choses. Il existerait donc un autre monde où vivent les idées, où la beauté cohabite avec le théorème de Pythagore.

Il est regrettable que ce fusse la conception dualiste de Platon qui fut retenu par l'Histoire quand on se rend compte que la science tend à pencher beaucoup plus du côté de Démocrite. Même si, de nos jours, la conception scientifique du monde commence à se diffuser dans toutes les strates de la société, des persistances du dualisme platonicien continuent d'influencer considérablement la conception du monde des gens.

La croyance en l'âme trouve évidemment un appui de taille dans cette vision du monde. Le corps ne devenant plus qu'une ombre projetée par ce «concept» immortel qu'est notre âme. Toutes les mutilations que peuvent subir notre corps et que semble subir notre esprit (dommages au cerveau) ne sont que des interférences déformant l'allure de cette ombre mais ne changeant rien à la nature de notre être véritable qui demeure à l'abri de tout dans un arrière-monde. Le dualisme matière/idée est donc un bon ami du dualisme matière/esprit.

Les différentes formes de discriminations arbitraires qui persistent dans nos sociétés modernes découlent souvent d'une telle conception du monde. Par exemple, on aura une idée de ce qu'est «une femme standard», «un Noir standard» ou «un homosexuel standard» et nous verrons tous les individus de ces catégories comme des copies plus ou moins parfaites de ce stéréotype. Comme si les gens sortaient tous d'un moule différent selon leur catégorie, mais que ce moulage permettait quelques petites variations rares et insignifiantes. Bref, on aura tendance à faire des généralités à cause de cette vision du monde. Également, l'effet de halo puise sûrement un peu de sa légitimité dans cette cosmologie obsolète. Puisque tous les gens du même groupe sont, finalement, les «ombres» d'un même «concept pur», c'est comme s'ils se partageaient la même âme et donc que l'un était redevable des actes d'un autre. Et, par extension, le nationalisme est également tributaire de cette croyance, les gens d'une même nation étant vus comme des dérivés de l'individu type de cette nation.

Pour le biologiste Ernst Mayr (1904-2005), la théorie du monde des idées est également responsable du fait que la théorie de l'évolution soit apparue si tardivement dans l'histoire de la science. Richard Dawkins nous résume ainsi l'explication de Mayr:

«L'essentialisme biologique traite les tapirs et les lapins, les pangolins et les dromadaires, comme des triangles, des losanges, des paraboles ou des dodécaèdres. Les lapins que nous voyons sont de pâles ombres de l'"idée" parfaite de lapin, du lapin essentiel de l'idéal platonicien, flottant quelque part dans l'espace conceptuel avec toutes les formes parfaites de géométrie. Les lapins de chair et de sang peuvent varier, mais leurs variations doivent toujours être vues comme des déformations défectueuses de l'essence idéale du lapin.»*

Ainsi, les individus d'une même espèce peuvent dériver jusqu'à un certain point de leur individu type mais jamais au point de franchir la barrière des espèces. C'est sans doute pourquoi, même si l'idée que les espèces aient un ancêtre commun a été proposée depuis des temps immémoriaux dans plusieurs cultures du monde, les penseurs occidentaux héritiers de Platon l'aient si longtemps ignorée ou écartée. C'est surtout lors de discussions sur le végétarisme que j'entends souvent des arguments découlant d'un tel paradigme. Car bien que la théorie de l'évolution soit acceptée par pratiquement tous, lorsqu'il est question du statut légal ou éthique des animaux, nous revenons spontanément à une conception discontinue des espèces. Même les humains les moins lucides et les moins sensibles (par exemple, une personne ayant une déficience mentale grave le rendant intellectuellement analogue à un porc) seront considérés comme n'importe quel autre avatar du concept pur «humain», tandis qu'une bête, aussi intelligente et lucide qu'elle puisse être, sera traitée comme du mobilier.

La conception des langues subit aussi l'influence du platonisme. Même si l'on sait que, comme les êtres vivants, les langues évoluent à partir d'ancêtres communs, on continuera de voir, disons, le français comme étant une chose en soi. Les grammairiens nous dictant ce qu'est le vrai français et toutes les déviations de ce français pur (régionalismes, anglicismes, barbarismes) sont vues comme une détérioration, un éloignement de ce français parfait.

La croyance en Dieu bénéficie aussi parfois du monde des idées. Souvent, Dieu lui-même est vu comme étant un concept pur ou l'ensemble de plusieurs concepts purs comme la beauté, la bonté et l'amour si l'on adhère au sophisme de Thomas d'Aquin. Autrement, on peut aussi utiliser l'argument du législateur cosmique en disant que les lois (et les autres concepts purs de l'univers) ont forcément été écrites par quelqu'un… donc Dieu existe. Sinon, Dieu est aussi souvent vu comme étant le soleil dans l'allégorie de la caverne, celui qui permet aux concepts purs de projeter leurs ombres sur la paroi.

Bien évidemment, je suis ici plus du côté de Démocrite que de celui de Platon. L'erreur de Platon est de considérer que les idées existent indépendamment de l'esprit qui les supporte, et de confondre notre représentation du monde avec le monde lui-même. Les concepts sont des inventions humaines pour classer et diviser le monde de façon à nous le rendre plus intelligible. Une des conséquences de la croyance au monde des idées, est donc que les gens ont tendance à prendre leurs «catégories mentales» pour des réalités objectives. Au lieu de voir un continuum parfait, ils verront des archétypes parfaits dont les déclinaisons dans notre monde peuvent se ressembler et se confondre, sans que ces concepts purs n'en demeurent distincts pour autant.

On peut faire un parallèle avec la langue. Nous avons inventé des mots que l'on associe à des choses. Cette association entre signifiant et signifié n'existe que dans nos esprits. Il y a dans le cerveau de tout francophone un lien entre la séquence de sons [pɔm] et une pomme. Le lien n'existe donc pas dans l'absolu mais dans une intersubjectivité. Il y a une copie de la langue française dans chaque francophone et ces copies peuvent varier d'une personne à l'autre, sans qu'aucune version ne soit rattachée à un absolu parfait et éternel. On peut prendre aussi l'ADN comme analogie: Chacune de mes cellules contient une copie de mon code génétique et c'est le fait que ce code soit plutôt semblable d'une cellule à l'autre qui permet à mon organisme d'exister tel qu'il est. Bref, il existe une copie de tout concept dans l'esprit de tout ceux qui le conceptualisent, sans que le concept n'ait une existence autonome et extérieure.

Je pense que cette différence d'opinion entre ces deux philosophes est le point de divergence principale entre ma vision du monde et celle de l'individu moyen.

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*DAWKINS, Richard, Le plus grand spectacle du monde, Ed. Robert Laffont, p.34

samedi 30 avril 2011

Mentir au nom de la Vérité

Il est un comportement que j'ai remarqué à quelques reprises dans l'argumentaire de certaines personnes ayant une croyance forte envers la religion, l'ésotérisme ou le paranormal. Parfois, lorsqu'ils sont à court d'arguments pour défendre leur opinion, ces croyants n'hésiteront pas à fabriquer de fausses preuves, à volontairement donner une mauvaise interprétation d'une donnée scientifique ou à tout simplement mentir. C'est une sorte de «la fin justifie les moyens». Puisque leur point de vue est «la Vérité» alors tous les moyens sont bons pour convaincre autrui, même le mensonge. Prenons cette mise en situation:

Une personne A et une personne B se parlent de leurs croyances. A a une croyance forte mais elle n'arrive pas à y convertir B. Alors, A invente une fausse histoire qui prouverait hors de tout doute la véracité de sa croyance, et réussit à convaincre B grâce à ce pieux mensonge. Plus tard, B rencontre C et lui parle de sa nouvelle croyance. Mais C n'est pas convaincu, même avec l'anecdote fictive qu'a ajouté A. Alors, B invente elle aussi une fausse preuve pour valider sa croyance, et réussit ainsi à convaincre C. Plus tard, C rencontre D et lui parle de sa nouvelle croyance…

Supposons que l'histoire se prolonge ainsi jusqu'à la conversion de Z. À chaque fois, l'individu est tellement convaincu que sa croyance est véridique, qu'il considère comme correct de mentir pour convaincre autrui de la validité de cette croyance. Son mensonge lui paraît tout petit par rapport à la grandeur de sa croyance. Ainsi, son converti, même s'il croira à son mensonge, croira aussi à cette immense vérité et en conséquence sa nouvelle opinion contiendra en somme plus de vérité que de fausseté. Mais à chaque fois, l'individu ignore lui-même qu'une partie de ce à quoi il croit est un cumul de pieux mensonges de cette sorte, eux aussi concoctés pour rendre plus crédible ce que l'on postule être la Vérité.

Les exemples de cette pratique sont très variés. Un religieux pourrait donner un faux témoignage d'un miracle ou fabriquer une fausse relique pour que l'on adhère à son culte, un «chercheur» d'une pseudoscience pourrait falsifier les données de ses expériences pour qu'elles collent plus avec ses croyances, un adepte d'une théorie du complot pourrait choisir les sources qu'il sait les moins fiables lorsqu'elles sont celles qui appuient ses délires paranoïaques, un ufologue pourrait faire croire qu'il a vu un ovni, et ainsi de suite.

Évidemment, je désapprouve ce genre de pieux mensonge. Comme on ne peut pas savoir avec une certitude suffisante si notre croyance initiale était véridique, même si on en est viscéralement convaincu, il importe de faire preuve d'intégrité et d'honnêteté intellectuelle lorsque l'on essaie de la défendre. Si notre but est réellement de défendre la vérité, on doit se donner les moyens de s'en approcher le plus possible et, pour cela, permettre une loyale confrontation d'idées plutôt que de protéger notre croyance à tout prix à l'aide d'un bouclier de mensonges. Il m'apparaît énormément présomptueux de croire que l'on a atteint la Vérité, plutôt que d'avoir l'humilité d'admettre que l'on peut toujours progresser. Il y a plusieurs situations dans lesquelles le mensonge est justifiable, mais celle-ci n'en fait pas partie. Cela me rappelle ma réflexion sur l'éthique des gourous qui construisent un ensemble de croyances fausses pour justifier des pratiques qu'ils jugent bonnes; ils commettent la même erreur. Ils prennent pour postulat qu'ils ont raison, donc que tous les moyens sont bons pour amener autrui à adopter cette opinion.

Je pense qu'il faut avant tout se rappeler que l'on doit tirer nos conclusions des faits et non falsifier les faits pour qu'ils soutiennent nos conclusions. Autrement on pense à l'envers. Si nos croyances sont vraiment vraies, alors inutile de mentir pour les protéger : la science finira bien par leur donner raison. S'il s'avère que ce n'est pas le cas, c'est peut-être que l'on avait tord et que l'on devrait réviser nos opinions. Je conclus avec cette petite histoire de mon crû:

Une femme pleure la mort de son fils qui a été exécuté pour ses idées. Elles vient visiter sa tombe et constate que sa dépouille a été volée par des charognards. C'est trop pour elle, c'est comme si on lui enlevait son fils une deuxième fois. Pourtant, au fond de son cœur de mère, elle a l'impression que son fils est toujours vivant quelque part. Ne pouvant accepter la réalité, elle se dit que son fils est revenu à la vie et que c'est la raison pour laquelle son corps n'est plus là. Elle raconte cela aux amis de son défunt fils qui se moquent de son histoire. Alors pour les convaincre, elle leur fait croire qu'elle a réellement vu son fils ressuscité, ce qui convainc ces hommes qui s'en vont aussitôt rapporter ce miracle à tous. Voyant qu'on ne les croit pas, ils font croire qu'eux aussi ont vus leur ami revenu d'entre les morts… et ainsi de suite, les faux miracles s'accumulent jusqu'à celui du soleil dansant de Fatima en 1917.

Vendre son corps

Malgré la libéralisation des mœurs et l'hypersexualisation qui caractérisent l'Occident contemporain, nous avons encore un tout petit peu tendance à sacraliser le sexe… du moins, juste assez pour que sa commercialisation soit mal vue. Y a-t-il un fondement éthique raisonnable qui justifie le statut actuel de la prostitution? Pourquoi cette haine viscérale et ce mépris collectif envers une activité aussi ancienne que nécessaire? La prostitution devrait-elle être légale ou illégale? J'ai décidé de faire l'exercice de réfléchir à ces questions.

Afin de nous éclaircir les idées, essayons de dissocier la prostitution elle-même de tout ce qui l'entoure dans notre représentation de cette activité. Supposons qu'une personne adulte et lucide décide, sans être contraint par la force ou le désespoir, de faire payer une autre personne adulte en échange d'une faveur sexuelle. Dans cette situation précise, la personne qui achète du sexe fait-elle quelque chose de mal? Et celle qui le vend? Je vois difficilement ce que l'on pourrait reprocher à l'un ou l'autre; ils ne font de mal à personne. Ce n'est donc pas tant l'acte de vendre du sexe qui est en lui-même problématique, qu'un ensemble de facteurs qui sont autour de ce commerce. Et c'est d'ailleurs pour cette raison que – vous serez peut-être surpris de l'apprendre – la prostitution est légale au Canada. Si, donc, je décidais d'avoir une transaction de cette sorte avec une de mes amies par exemple, nous ne serions pas dans l'illégalité.

Mais solliciter un inconnu sur la rue pour lui vendre du sexe demeure un geste punissable par la loi. En fait, tout ce qui entoure la prostitution (sollicitation, proxénétisme) est criminel de sorte que l'on peut pratiquement dire que ce commerce l'est également. Il me semble pourtant que la majorité des problèmes liés à la prostitution viennent justement du fait qu'elle n'est pas encadrée par la loi. Criminaliser une pratique ne la fait pas disparaître. Donc, si l'on avait le choix entre l'une des alternatives suivante:

  • A. La prostitution est clandestine;
  • B. La prostitution est légale et encadrée;
  • C. La prostitution n'existe plus;

Même si l'on considère l'option C comme étant la plus désirable, on doit reconnaître qu'elle est irréaliste dans la pratique. Notre choix se limite donc à A ou B, et c'est l'option B qui m'apparaît comme étant le moindre mal. C'est comme pour la drogue en ce moment et le jeu autrefois. Si l'on refuse de légaliser un bien ou un service pour lequel il existe une forte demande, on ne fait que laisser ce marché aux groupes criminalisés. On ne règle pas un problème, on le cache, ce qui autorise toutes les dérives que l'on peut imaginer. On éviterait, par exemple, qu'une personne se prostitue par désespoir, qu'elle se fasse arnaquer ou violenter par son proxénète, ou qu'on la contraigne à faire des choses qui la répugnent. On peut donc être contre la prostitution ou la drogue, mais être pour sa légalisation, sans manquer de cohérence. Au contraire, la légalisation du phénomène devient une étape nécessaire dans la lutte contre celui-ci.

Je trouve tendancieuse l'expression «vendre son corps» que l'on utilise parfois pour désigner la prostitution. Elle sert à ce que l'on associe cette pratique à de l'esclavage, comme si en ayant du sexe en échange d'argent on vendait à autrui la propriété de notre corps. Pourtant, si je vends des services sexuels à quelqu'un, je ne lui vends pas mon corps… je lui loue! Il me paierait uniquement pour que je lui offre un service particulier pendant une période de temps donnée, pas pour qu'il puisse me faire faire tout ce qu'il veut à tout jamais. Fondamentalement, la prostitution est donc un travail comme un autre. La nuance réside dans le fait que le sexe est une activité hautement intime… mais c'est peut-être surtout qu'il n'est pas totalement désacralisé.

Je me disais également qu'il y avait peut-être certaines gens pour qui la prostitution est nécessaire. Certains clients des prostitués n'ont peut-être pas d'autres alternatives pour combler leurs besoins sexuels. Imaginons une personne si repoussante qu'elle n'arrive pas à trouver de partenaire avec qui avoir du sexe «gratuitement». Ou encore, une personne ayant un fantasme vraiment bizarre et qui ne trouve personne avec qui le mettre en pratique. Que font ces gens? Et de l'autre côté, peut-être qu'il y a réellement des personnes qui préfèrent pratiquer la prostitution plutôt que n'importe quel autre métier pour lequel elles sont compétentes.

Personnellement, je ne serais pas capable de me prostituer; le sexe est pour moi une activité trop intime. Mais je ne serais pas non plus capable d'être préposer aux bénéficiaires dans un hôpital ou égoutier… pourtant je ne reprocherais pas pour autant à quelqu'un qui choisirait l'une de ces professions de faire un travail répugnant ou dégradant. Je me dis que si moi je serais personnellement révulser en faisant une opération à cœur ouvert ou en ramassant les ordures, ce n'est pas le cas de tout le monde et c'est tant mieux. De la même façon, si quelqu'un a suffisamment de détachement par rapport à l'acte sexuel pour en faire son métier, je n'ai aucune raison de l'en empêcher ou de dénigrer son travail.

Bref, même si intuitivement je ne suis pas à l'aise avec le fait que la prostitution existe, je n'ai rien de rationnel à lui objecter directement.

lundi 11 avril 2011

Le mystère de la foi

Imaginez qu'une personne proche de vous et en qui vous avez confiance, vous annonce qu'elle est morte dans un accident de voiture la semaine dernière puis qu'elle est revenue à la vie deux jours plus tard. Disons qu'elle vous raconte cela avec un ton tout à fait sérieux et sincère et que ce n'est pas du tout son genre de faire des blagues de ce type. Supposons également qu'elle prétende avoir deux témoins qui ont assisté à son décès. Croirez-vous sur parole l'histoire de cette personne sans même demander de preuves? Bien sûr que non!

Pourquoi devrait-on être sceptique dans cette situation, mais croire sur parole un témoignage vieux de deux milles ans, maintes fois réécris et de source plutôt douteuse? Pourquoi, quand je vois Criss Angel marcher sur l'eau, alors qu'il est filmé et qu'il y a plusieurs témoins, je me dis tout de suite qu'il y a un truc tandis que je devrais croire que Jésus l'a fait pour vrai? Pourquoi le contenu de la bible – un texte ancien quelconque issu de l'une des très nombreuses mythologies de l'Antiquité –, les paroles d'un prêtre ou le credo d'une foi devrait-il être considéré comme véridique lorsqu'il nous présente une histoire absurde, alors qu'une histoire d'un niveau d'absurdité égal mais ne venant pas de la religion mérite que l'on soit critique? N'est-ce pas là un manque de cohérence?

Et si je vous dis que Dieu est à la fois un et trois? Que Jésus est assis à la droite de Dieu mais partout à la fois? Qu'il est tout-puissant et bienveillant mais qu'il laisse le mal exister quand même? Que les voies de Dieu sont impénétrables? Que Dieu existe mais que je n'ai aucune idée de ce qu'il est? Comment peut-on affirmer croire en une chose que l'on ne comprend pas? N'y a-t-il pas là une contradiction logique? Si je disais que les xuüphtalzops existent mais que je refusais d'expliquer ce que veut dire ce mot, comment pourrais-je reprocher à autrui de ne pas me croire? Nul ne peut croire en une proposition s'il ne la comprend pas, si elle se contredit elle-même ou si elle contient un mot sans définition. Affirmer le contraire c'est se mentir à soi-même.

Il est grand le mystère de la foi. Comment des adultes par ailleurs raisonnables peuvent-ils croire en des telles inepties? C'est tout un mystère. Mais qu'est-ce que la foi au fond? Un concept inventé par les prêcheurs d'obscurantisme pour faire passer la crédulité pour une vertu.

samedi 19 mars 2011

Les droits du père

Il y a eu récemment une discussion à propos de l'avortement sur un forum que je fréquente. Je vous ai déjà entretenu de mon opinion sur l'avortement; ce n'est donc pas de cela dont je vais vous parler ici. C'est qu'il y a un élément qui est arrivé dans la conversation qui a retenu mon attention. Il s'agit du fait que la mère a le pouvoir unilatéral de choisir si elle avorte ou si elle amène la grossesse à terme, tandis que le père n'a pas son mot à dire et doit assumer les conséquences du choix de sa compagne quel qu'il soit. C'est une problématique compliquée. D'un côté, c'est vrai que c'est logique mais d'un autre, c'est vrai que c'est injuste.

En fait, le problème ici tourne autour de la reconnaissance de la paternité. Je trouve que notre culture accorde trop d'importance au «lien du sang» dans sa façon de définir la parentalité. Pour moi le parent est davantage le tuteur que le géniteur. Mais il est vrai que cela pose problème pour savoir qui est le «propriétaire» d'un embryon, puisqu'à ce stade il ne peut avoir de «parents» au sens de «personnes qui l'élèvent». Il faudrait donc se demander comment attribuer ce statut.

À la base, je dirais que la personne qui porte un embryon devrait avoir la pleine souveraineté sur celui-ci (c'est-à-dire, pouvoir décider d'avorter ou non) et être considérée comme son parent une fois l'enfant mis au monde, et ce même si cette personne n'est pas la génitrice de l'enfant (elle pourrait avoir eu recours à un don d'ovule). Ce serait la situation «par défaut» mais je propose qu'elle puisse être modifiée via un «contrat parental» ou lorsque la personne a été jugée inapte à élever des enfants.

Je me dis que si c'est à la personne qui porte l'enfant que revient le choix de mener la grossesse à terme ou d'avorter, le père de son côté, s'il ne peut pas forcer la mère à avorter ou à garder l'enfant, devrait pouvoir choisir de ne pas être légalement le père s'il ne veut pas d'enfant. En fait, il faudrait éviter qu'une femme puisse contraindre un homme à devenir père s'il ne le veut pas, tout en évitant qu'un homme puisse laisser croire à une femme qu'il va s'occuper de l'enfant puis fuir ses responsabilités à la dernière minute.

C'est pour cette raison que je me dis qu'il devrait exister un genre de contrat entre les parents pour se signifier mutuellement qu'ils partageront les responsabilités parentales. Et, que ce contrat devrait être signé avant la date limite légale pour l'avortement (il pourrait même être signé avant la conception… disons jusqu'à un an avant la naissance). De cette façon, tout est clair pour tout le monde et personne ne peut fuir ses responsabilités ni en imposer à l'autre contre son gré. Si la mère sait qu'elle devra élever son enfant en monoparentale avant qu'il ne soit trop tard pour avorter, son choix de mener la grossesse à terme est plus éclairé que si son partenaire change d'idée deux jours avant l'accouchement. Une fois que ce contrat est signé, il ne serait plus permis pour la mère d'avorter sans l'accord du père (car l'enfant est dès lors celui des deux parents et plus seulement celui de la mère) à moins que sa propre santé ne soit compromise.

Je vois d'autres avantages secondaires à une telle mesure. Par exemple, on règle la question de la paternité une bonne fois pour toute. Le père est celui qui a signé cette entente avec la mère, et ce même si l'on découvre plus tard que le géniteur est un autre homme avec qui la mère a eu une aventure. Quoique cela pourrait peut-être être contrariant pour certains… Peut-être devrait-on intégrer une clause à ce contrat parental qui permettrait de le résilier suite à un résultat négatif à un test génétique de paternité. Mais je mettrais une date limite pour qu'interviennent ce genre de considérations biologiques. Disons que dès que l'enfant a un an, les tests génétiques ne pourraient plus annuler le contrat parental. À l'inverse, un géniteur ou une donneuse d'ovule qui aurait été écarté par la mère du contrat parental mais qui voudrait avoir des droits sur l'enfant, aurait lui aussi jusqu'au premier anniversaire de l'enfant pour que la génétique soit un argument valable en sa faveur. La logique serait qu'un bébé de moins d'un an est peut-être trop jeune pour que quelqu'un prétende «l'avoir élevé» et utilise cet argument pour s'en déclarer le parent; d'où la pertinence de faire intervenir un autre critère tel que la filiation génétique.

Un autre avantage c'est que ce contrat permettrait de régulariser le travail des mères-porteuses. Elles pourraient utiliser une version particulière de ce contrat pour renoncer complètement à leurs droits sur l'embryon (le droit parental par défaut revenant à la porteuse et non à celle qui fournit l'ovule) aux profits des parents pour qui elles travaillent. De la même façon, une personne qui voudrait donner son enfant en adoption à un couple de qui elle est proche et en qui elle a confiance pourrait procéder de la même manière.

Cela permettrait également de faciliter les choses pour les couples homoparentaux. Par exemple, dans un couple de femmes, celle des deux qui ne porte pas l'enfant aurait ici le même statut que le père, c'est-à-dire un second parent que le parent par défaut (la porteuse) reconnaît comme tel. On pourrait également permettre la polyparentalité si l'on autorise la porteuse à donner à plus d'une personne le titre de parent.

Mais bon, c'est une proposition en l'air comme ça. Honnêtement je parle pas mal à travers mon chapeau ici puisque, avant d'écrire ça, je n'ai même pas pris la peine de savoir comme ça fonctionne actuellement. Il se peut que les droits parentaux soient déjà attribués de manière tout à fait correcte.

samedi 12 mars 2011

Questions sans réponses

Il y a des questions qui tourmentent l'humanité depuis la nuit des temps et qui demeurent encore sans réponse aujourd'hui. L'éblouissante lumière de la science n'arrive pas à percer les secrets de ces énigmes impénétrables. En voici des exemples:
«Que vît-on après la mort?»
«Qu'est-ce qui s'est passé avant le début des temps?»
«Qui a-t-il en dehors de l'espace?»
«Pourquoi?»

Mais ces questions sont-elles réellement pertinentes? Je vois trois raisons pour lesquelles une question demeure sans réponse:
  1. Nous n'avons pas encore les connaissances nécessaires pour y répondre;
  2. La réponse est trop complexe pour notre intelligence;
  3. C'est la question elle-même qui est vide de sens;

Comme exemple de cette troisième catégorie de questions, je pourrais me demander, disons, ce que ressent un caillou, ou de quelle couleur est l'ennui. La question est grammaticalement correct mais n'a aucun sens. Je pourrais aussi me demander ce que font cinq divisés par zéro.

Plusieurs des grandes questions existentielles que l'on se pose demeurent sans réponse, non pas parce que nous n'avons pas encore su y répondre, mais simplement parce qu'elles sont des questions qui n'ont, en fin de compte, aucun sens. Elles s'inscrivent dans des paradigmes obsolètes. On les contemple comme si elles étaient des mystères sacrés dépassant notre entendement, alors qu'elles sont en fait de puériles questions impertinentes. Des agencements de mots qui ne veulent rien dire.

On ne vit rien après la mort car la mort est la fin de la vie. Il n'y avait rien avant le début du temps car un «avant» est toujours à l'intérieur du temps. Il n'y a rien en dehors de l'univers car l'univers est, par définition, la somme de tout ce qui existe. Et se demander le «Pourquoi?» de l'univers implique qu'il fut créé par un être intelligent, dans un but précis, et l'on peut en douter. J''ai l'impression que de croire que l'univers a forcément un sens, un but et une raison d'être, et que ceux-ci sont forcément liés à nos petites existences individuelles, est plus le fait d'un désir viscéral que de quoique ce soit d'autre.

Bref, quand la science n'arrive pas à répondre à une question, ce n'est pas toujours notre capacité de répondre qui est en faute, mais c'est bien souvent notre aptitude à poser des questions.

vendredi 11 mars 2011

Déprime saisonnière

L'hiver au Québec c'est déprimant. Il fait froid et il fait noir. Février est particulièrement dur sur le moral et mars n'est pas vraiment mieux. On a hâte que l'hiver se termine. Il commence à faire un peu plus clair, mais chaque tempête de neige de fin de saison nous apporte des pensées suicidaires. Je réalisais que nous sommes tous beaucoup moins énergiques à la fin de la saison froide, probablement parce que nous avons dû passer plusieurs semaines à l'intérieur. Nous sommes carencés en air pur et en soleil. Il serait avantageux pour l'individu lui-même mais aussi pour la productivité de la société dans son ensemble, de prendre des mesures contre l'hiver.

Ma solution: Je pense que l'on devrait repenser la façon dont l'on conçoit l'intérieur de nos habitats et de nos lieux de travail de façon à ce qu'elle évoque davantage l'extérieur. Par exemple, si nous avions un éclairage simulant celui du soleil, une aération fournissant de l'air pur et qu'il y aurait plusieurs végétaux à l'intérieur. Si, par exemple, les stations de métro étaient conçues pour que l'on ait l'impression d'y être à l'extérieur par une belle journée d'été, peut-être que le métro serait moins souvent retardé parce que l'un d'entre nous a choisi de se jeter sur les rails.

Et, tant qu'à être dans les propositions irréalistes, je suggère que l'on construise un réseau de tunnels souterrains reliant tous les bâtiments de Montréal. Qu'il y ait réellement une ville souterraine et que ce ne soit pas seulement un mythe pour attirer les touristes. De sorte que je pourrais aller de chez moi jusqu'à mon travail sans avoir à mettre le nez dehors! Sans avoir à pelleter mon entrée ou à marcher dans la slush ou sur un trottoir glacé. Bien sûr, ne pas sortir dehors c'est mauvais pour la santé, mais si on suit ma proposition précédente, ces corridors seraient éclairés et aérés pour que s'y promener soit aussi sain pour la santé et le moral que de prendre une marche dans un parc au mois de juillet.

Fin de cet état d'âme exprimant ma haine de l'hiver.

dimanche 6 mars 2011

C'est dans ta tête

Parfois, certaines personnes ayant vécus une expérience paranormale sont convaincues qu'il ne s'agit pas d'une hallucination ou d'un rêve parce que «ça avait l'air trop vrai!». C'est souvent le cas des gens qui prétendent avoir expérimenté une projection astrale. Ils sont sûrs que l'événement s'est vraiment déroulé et qu'il ne s'agissait pas d'un simple rêve parce que cela leur semblait trop réaliste.

Voici une mise en situation qui est un peu un remake de l'allégorie de la caverne:
Vous êtes enfermé dans un bunker souterrain. Votre seule fenêtre sur le monde extérieur est une télé qui montre ce qu'une caméra de surveillance filme à la surface. De temps en temps, des interférences font en sorte que votre écran, au lieu d'afficher ce que filme la caméra, vous présente des extraits d'émissions de télévision. Vous arrivez toutefois facilement à distinguer la réalité de ces interférences puisque vous savez ce à quoi ressemble le paysage sur lequel est pointé votre caméra.

Supposons que l'occupant de ce bunker voit un jour sur son écran une image issue d'une émission de télévision mais qui ressemble fortement à quelque chose qu'aurait pu filmer sa caméra. Comment pourrait-il la distinguer de la réalité?

Notre rapport à la réalité est analogue à celui de ce prisonnier. Nos organes sensoriels captent des données sur le monde et les projettent sur l'écran de notre esprit. Mais sur ce même «écran» sont parfois diffusés des rêves et des hallucinations. Qu'un événement soit réel ou onirique, il se retrouve dans ma tête dans les deux cas. Il n'est donc pas du tout impossible pour un rêve de ressembler à la réalité au point qu'on puisse le prendre pour elle. Si le rêve est un mélange aléatoire de données sensorielles dans mon esprit, il est statistiquement probable que ces données s'agencent de temps en temps de façon à former quelque chose de réaliste.

Bref, l'apparent réalisme d'une expérience paranormale ne lui donne pas vraiment plus de crédit à mes yeux, surtout si elle a lieu pendant le sommeil.

vendredi 18 février 2011

Suis-je anarchiste?

Je me suis quelque fois demandé si l'on pouvait me définir comme étant un anarchiste ou non. En fait, ça dépend de comment on défini l'anarchisme. À quoi s'oppose-t-il? Jusqu'à quel point s'y oppose-t-il?

Généralement, on considère que l'anarchiste prône l'abolition de l'État. Mais l'État n'est en fait qu'une forme particulière d'institution. La religion et l'entreprise en sont deux autres. On peut presque dire que c'est un arbitraire culturel que de les distinguer. Et, il existe très certainement un spectre plus large de diversité parmi les formes possibles que pourrait revêtir l'institution. Donc l'anarchiste est-il seulement contre l'État ou s'oppose-t-il à d'autres manifestations de l'institution? Historiquement, je pense que l'anarchisme est toujours allé de pairs avec l'anticléricalisme et l'anticapitalisme. On peut donc dire que c'est une opposition contre plusieurs formes d'institutions et pas seulement contre l'État. C'est un point de vue cohérent avec lui-même. S'opposer uniquement à l'État pour qu'il laisse plus de pouvoirs à des institutions moins démocratiques telles que les religions et les entreprises, serait paradoxal si on prétend le faire au nom de la liberté des individus.

Mais à quel degré cette opposition doit-elle être pour qu'on la qualifie d'anarchisme? Voici trois formes que l'on pourrait distinguer:
  • Modérée: S'oppose aux institutions actuelles et voudrait qu'on les réforme ou les remplace, afin d'avoir des institutions du même type (État, religion, entreprise) mais qui pourraient mieux répondre à nos besoins.
  • Moyenne: S'oppose aux institutions actuelles et voudrait qu'on les remplace par de nouvelles formes d'institutions qui pourraient mieux répondre à nos besoins.
  • Extrême: S'oppose à toute forme d'institutions existantes ou potentielles.

Pour moi, l'organisation sociale parfaite serait une «anarchie éclairée», c'est-à-dire une société où les individus seraient si sages et bienveillants qu'il ne serait pas nécessaire d'avoir des institutions pour réguler leurs comportements. Chacun ferait exactement ce qu'il a faire pour optimiser le bonheur de tout le monde. Mais les humains sont trop imparfaits pour cette organisation sociale parfaite. Il m'apparaît donc nécessaire de se doter d'institutions pour pallier à cette lacune du genre humain. Ainsi, je ne suis pas contre l'existence d'institutions; elles sont un vecteur d'ordre indispensable au bonheur collectif. L'anarchie éclairée n'est donc que l'asymptote vers laquelle l'État devrait s'orienter, c'est-à-dire en maximisant la liberté individuelle et en ne la limitant que pour compenser ce manque d'«éclaircissement» chez l'individu. Ce qui implique, aussi, que l'État devrait chercher à favoriser autant que possible l'éducation des citoyens afin de pouvoir se permettre de leur accorder davantage de liberté.

Revenons au trois niveaux d'oppositions aux institutions dont j'ai parlé plus haut. Je pense, donc, que la forme que je qualifie ici de «modérée» n'est pas considérée comme de l'anarchisme. La forme extrême, par contre, l'est très certainement. Qu'en est-il de la forme moyenne? J'imagine que ça dépend des définitions, mais aussi du niveau de puissance qu'elle accorderait aux institutions alternatives qu'elle proposerait. Je me situe personnellement quelque part entre la forme modérée et la forme moyenne. De mon point de vue, il serait positif à long terme de changer éventuellement nos institutions pour de nouvelles formes d'institutions. Je ne suis donc pas vraiment anarchiste même si je pense que l'on devrait essayer de réduire au strict minimum les ingérences de l'autorité sur la liberté de l'individu.

dimanche 23 janvier 2011

Le culte du groupe

Nos sociétés occidentales modernes sont individualistes. On perçoit souvent ce mot comme étant péjoratif. Toutefois, si on le compare avec ce à quoi il s'oppose, ce que j'appelle le collectivisme, on se rend compte d'à quel point il s'agit d'un progrès pour l'éthique et la liberté. En effet, avant cette émergence de l'individualisme, on faisait passer les intérêts du groupe avant ceux des individus qui le composent. Parfois ceux-ci se confondaient avec ceux de la classe dirigeante mais, souvent, le groupe devenait considérés comme une entité sui generis ayant ses intérêts propres et pouvant les imposer à ses membres; de la même façon que j'impose mes choix de vie aux cellules dont je suis fais. Par exemple, dans une société médiévale, l'héritier du trône ne pouvait pas vraiment choisir de tout abandonner pour devenir paysan. La tradition lui imposait un rôle et une place, qui s'adonnait à être la plus privilégiée, mais dont il ne pouvait tout de même pas se déroger si jamais c'était un rôle qui ne lui plaisait pas.

Nous subissons encore de nos jours quelques survivances de cette époque. Voici des exemples d'éléments culturels qui sont directement la conséquence de ce type de sociétés:
  • Qu'il y ait des tâches ménagères ou des professions qui soient exclusives à un sexe;
  • L'interdiction du sexe hors du mariage;
  • La prohibition de l'homosexualité, de la contraception, ou de toute autre sexualité non féconde ainsi que de l'avortement;
  • Valorisation du fait de faire beaucoup d'enfants;
  • Les mariages arrangés ou l'obligation de se marier avec quelqu'un de son groupe ou de sa classe sociale;
  • L'homme qui hérite de la profession ou du statut de son père;
  • L'impossibilité d'ascension sociale (caste);
  • L'importance accordée à l'honneur et la possibilité de sanctionner le déshonneur;
  • L'importance accordé à la généalogie et aux liens du sang;
  • L'effet de halo faisant que les actes d'un individu influence la perception de tout son groupe;
  • Une justice basée davantage sur la préservation de l'ordre social et la cohésion du groupe que sur le bien-être des individus;
  • La méfiance et le mépris envers les étrangers (souvent considérés comme des barbares ou des demi-bêtes) ou les coutumes étrangères;
  • La haine envers ceux qui ont choisi de quitter le groupe;
  • Un attachement fort pour les contingences culturelles qui sont spécifiques au groupe;
  • Dénigrement du plaisir au profit du devoir;
  • Dénigrement de la réflexion au profit de l'obéissance, du conformisme et de la tradition;
  • Présence de rites complexes, nombreux, rigides et obligatoires;

C'est loin d'être une liste exhaustive mais le point c'est qu'il y a certains traits que l'on pourrait qualifié d'universaux et qui sont communs à toutes les sociétés collectivistes. Toutes ces situations où les intérêts de l'individu nous semblent inutilement bafoués, le sont parce que l'on a décidé que les intérêts du groupe primaient. On y remarque énormément de discrimination arbitraire et manque flagrant de relativisme culturel. Le sexe n'y existe que pour permettre au groupe de prolonger son existence. En fait, c'est comme si la société devenait un organisme et que les individus n'étaient plus que ses cellules. Ainsi, on s'attend d'une cellule qu'elle fasse la fonction pour laquelle elle est née, et non qu'elle essaye de faire la fonction d'une autre ou qu'elle poursuivre un quelconque but personnelle.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que le groupe – bien que composé d'êtres – n'est pas un être en soi. Il n'a ni conscience ni désirs. Le groupe n'a que faire d'exister ou non et ne peut souffrir d'aucune façon que ce soit. Qu'on fasse tout pour le maintenir uni ou qu'on le dissolve complètement ne le préoccupe en rien. En réalité, le groupe est important seulement lorsqu'il est important pour les gens qui le composent, car c'est leur bonheur à eux qui importe vraiment. Ainsi, d'un point de vue plus utilitariste, on ne devrait jamais faire passer les intérêts des individus après ceux du groupe et l'on ne devraient considérés ces derniers que pour leur importance pour l'individu.

Mais notre individualisme moderne a toutefois ses failles. La principale étant le manque de collaboration et de soutient entre les individus. Il y a également le développement d'une sorte de méfiance face à l'association, mais elle pourrait être davantage causée par le fait que le groupe est composé d'inconnus qui sont souvent effectivement des profiteurs, que par le fait que l'on se focalise sur l'individu et ses besoins. L'absence de cohésion sociale résultant de l'individualisme peut effectivement amener plusieurs problèmes. L'isolement de l'individu lui cause parfois de la dépression, réduit son efficacité, et limite également son potentiel puisqu'en s'alliant à d'autres il pourrait accomplir bien plus qu'en restant seul de son côté.

L'idéal serait quelque part entre les deux. Ce que l'on pourrait appeler le communautarisme. Un type de société dans laquelle les individus pourraient collaborer les uns avec les autres mais sans jamais que le groupe ne s'anthropomorphise en divinité totémique embryonnaire. Où le groupe serait un moyen pour l'individu d'atteindre ses fins. Personnellement, je me dis que les grandes sociétés collectivistes qui dominèrent depuis l'Antiquité jusqu'à récemment ont dû être précédées par des sociétés étant, justement, moins collectivistes que communautaristes. Probablement qu'au Paléolithique, lorsque les humains ne vivaient qu'en petites bandes d'une vingtaine d'individus, on devait avoir ce type d'organisation sociale. Sans idéaliser cette époque primitive, je pense que sur ce point on aurait quelque chose à retenir de nos aïeux nomades.